Partant de ses travaux dans divers milieux professionnels autres que l’enseignement (notamment dans des garages), il propose de considérer les facteurs suivants, susceptibles de rendre ces situations de travail apprenantes :
- une prise en compte de la complexité, avec une grande variabilité des tâches (plusieurs types de panne, plusieurs modèles de voiture)
un accès aux résultats de l’action (voiture réparée)
des ressources à disposition (outils mais aussi humaines, pour partager les problèmes)
la verbalisation de l’action, au delà d’une simple conversation
une activité réflexive, qui se nourrit de la répétition (effet d’entraînement dû au fait de rencontrer une panne complexe plusieurs fois)
Pour autant, ces facteurs ne sont pas totalement transposables dans l’éducation. L’enseignant est plutôt seul et n’a pas directement accès aux résultats de son action ; il ne peut ni la ralentir, ni l’accélérer au gré des ressources qu’il mobilise et son système de production est composé de nombreuses contraintes qui l’obligent à réfléchir à distance.
Dans quelles conditions dès lors un établissement peut-il se constituer en « organisation apprenante » ? P. Mayen souligne qu’une attention plus soutenue doit être accordée aux situations d’apprentissage. Car il ne suffit pas d’être en activité pour apprendre. L’expérience se construit à partir d’un enchaînement récurrent d’activités mais toutes les activités ne se valent pas et on n’apprend pas tout le temps !
Il insiste sur le fait que les situations formatives sont plutôt rares et qu’il est bien moins coûteux de miser sur ses routines que de remettre en cause son activité : « avoir » une expérience ne « fait » pas nécessairement expérience (selon Dewey) et les potentiels d’apprentissage varient selon les situations, mais aussi selon les individus. La pensée est fatigante… pour échapper aux routines et l’aiguiller, il faut (décider de) l’interrompre.
Selon lui, il est nécessaire non seulement d’identifier les situations de travail à potentiel d’apprentissage, mais aussi de penser leur mise en relation en introduisant la notion de parcours.
Les situations de travail regorgent d’impensés, de points aveugles… Appréhender les processus cachés du travail nécessite de sortir du confinement de sa propre activité pour mieux la redécouvrir… adopter une nouvelle position pour voir autrement l’activité des élèves… passer d’un fonctionnement individuel et implicite à une réflexion collective et explicite !
Mais les équipes pédagogiques sont rares et il ne suffit pas de se réunir pour faire collectif, il ne suffit pas de verbaliser pour apprendre, tant la tentation de la conversation est forte, c’est humain… Si c’est souvent le rôle d’un intervenant extérieur d’animer les réunions en maintenant un certain niveau d’exigences, P. Mayen invite à privilégier l’auto-organisation : partir par exemple des référentiels d’activités de chacun pour construire collectivement les conditions de la coordination.
En quoi la formation peut-elle agir ? Pour lui, ce sont les formateurs qui doivent savoir identifier les conditions organisationnelles porteuses de potentiels d’apprentissage, et donc au besoin modifier les situations de travail pour qu’elles deviennent apprenantes.
Une question clé est celle de la temporalité. La formation doit permettre de construire de nouvelles habitudes à la place des anciennes, sinon ce sont les routines qui prennent le dessus sur la complexité. Il faut penser la formation en référence aux situations de travail de tous les personnels de l’établissement, et créer les conditions de l’entraînement… Car sans entraînement, les modes d’action qui fonctionnent pendant une année scolaire ne sont pas réinvestis l’année suivante…
Dans sa conférence introductive, Luc Ria a pour sa part rappelé qu’une des clés majeures de l’amélioration des systèmes éducatifs réside dans les pratiques pédagogiques et la transmission des savoir-faire entre enseignants sur le terrain.
Si les attentes peuvent varier d’un établissement à l’autre, il n’est pas exclu que dans certaines configurations ce soit la liberté individuelle qui prime et qu’aucun besoin de formation ne se fasse expressément ressentir… Parfois les résistances sont si fortes qu’elles rendent improbable la mise en oeuvre d’une formation sur site. Dès lors, comment produire du sens collectif ?
Pour apporter quelques éléments de réponse, L. Ria rappelle les pistes issues des travaux de la Chaire Unesco depuis 2013 :
- mobiliser des ressources trans-générationnelles de l’activité professorale (notion de conservatoire et de laboratoire)
mobiliser un triple jeu de miroir en vidéoformation : apprendre d’une activité tierce, apprendre de sa propre activité et apprendre de l’activité des élèves
dépasser les trois obstacles de la formation sur site : dépasser les utopies et les doxa, les pratiques informelles et l’illusion de l’efficacité garantie de la recherche.
La généralisation de la formation sur site requiert un certain nombre de conditions liées notamment à l’engagement de l’équipe de pilotage dans l’établissement, à celui de l’équipe des personnes-relais et à leur formation. Le volume d’heures de formation doit être intégré dans l’emploi du temps hebdomadaire et annuel des enseignants et être mobilisé à des périodes opportunes. Dans tous les cas, l’offre de formation des enseignants gagne à rester plurielle : sur site ou pas, disciplinaire ou transversale, individuelle ou collective, etc.
Une idée force me semble-t-il est celle des nouvelles dynamiques qui peuvent naître des rapprochements entre formation initiale et formation continue, des meilleures synergies résultant de la mise en commun des pratiques et des outils de formation et résultant de nouvelles alliances entre enseignants débutants et enseignants plus expérimentés.
Si, comme le rappelle Patrick Rayou en clôture de ce colloque de deux jours, les travaux sur l’effet établissement ont émergé dans les années 1980, au moment de la décentralisation, la notion d’établissement formateur n’a cependant rien d’évident. Former dans les murs ne rend pas l’établissement « formateur », de même que le fait de remettre l’accompagnement aux devoirs dans l’école ne garantit pas la continuité avec la classe. Il invite, en bon « ami critique », à se méfier des lieux et signale les risques de dérive si la formation sur site est utilisée par le chef d’établissement comme expédient managérial. Selon lui, la réussite d’une formation dans l’établissement repose sur la capacité de ce même établissement à innover en mobilisant les savoirs construits collectivement, dans le but d’instituer de nouvelles pratiques.
Pour Philippe Meirieu, espace et temps sont des dimensions essentielles à considérer pour créer un écosystème dans lequel le praticien – tous les praticiens, pas seulement les enseignants – devient concrètement réflexif. Il considère que l’institutionnalisation des temps de formation (sur le temps des vacances, en fin d’année scolaire,…) dans un environnement matériel propice (qui favorise le travail individuel et collectif) est nécessaire. Mais en tout état de cause, l’enseignant doit tout de même décider de se jeter à l’eau, pour sortir des schémas qu’il connaît et accepter de faire ce qu’il ne sait pas faire. Et on n’apprend pas à commencer : pour se lancer, il faut tout simplement du courage !
A lire : “L’établissement scolaire, espace de travail et de formation des enseignants ?” Dossier de veille de l’IFÉ, n°87, novembre, 2013. Par Annie Feyfant. Disponible au format PDF : DA-87-novembre-2013
http://edupass.hypotheses.org/199